Vous n'imaginez pas comme je prends plaisir à écrire mes articles autour de l'histoire et des styles décoratifs. Ca me fait sortir de ma zone de confort. Je choisis une époque, un style et advienne que pourra! En réalité, je fais des recherches et j'aime ça. J'apprends des choses, je creuse des sujets qui sont généralement mis de côté. Et ça m'éclate. Sur fond d'affaire Dreyfus, de lois scélérates et de la bande à Bonnot, je vous propose de vous pencher un peu plus aujourd'hui sur ce qu'on appelle "la Belle Époque";
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01 • Qu'est-ce que la Belle Époque?
A deux ou trois ans près, les historiens s'accordent à délimiter cette période entre 1871 et 1914. Ce sont plusieurs décennies de paix entre la guerre franco-prussienne ou encore la Commune de Paris (les deux évènements se déroulant entre 1870 et 1871) et le début de la première guerre mondiale. Certains achèvent la Belle Époque avec le Titanic en 1912.
Il faut savoir que la Belle Époque a reçu ce nom que bien après son déclin, dans les années 40. Et cette locution reprend l'ambiance générale de l'époque. Il y a bien-entendu l'idée de paix. Mais c'est aussi une époque foisonnante de plusieurs manières.
1870, c'est le début de la IIIème République qui succède au Second Empire de Napoléon Bonaparte. C'est à cette époque par exemple que l'on doit l'école de Jules Ferry laïque, obligatoire et gratuite pour tous que nous connaissons tous. La IIIème République c'est aussi le fondement des droits du travail que nous avons actuellement (et qui s'en prennent un sacré coup ces dernières années). Le travail des femmes et des enfants est mieux encadré, le temps de travail journalier est abaissé. Les syndicats sont légalisés. Et c'est aussi à cette époque que l'on a les premiers congés payés. Sans forcément s'intéresser au domaine du travail, c'est la IIIème République qui instaure des symboles forts pour la France: la Marseillaise et le 14 juillet.
C'est l'époque aussi de la seconde révolution industrielle. Le train est apparu dans les années 1840, les voitures arrivent elles aussi dans le paysage. Mais l'innovation majeure qui marque le changement de siècle, c'est l'électricité. D'ailleurs, lors de l'Exposition Universelle de 1900, un palais sera dédié à l'électricité et la lumière. La fée électricité fait rêver les parisiens et les visiteurs du monde entier. En plus de contribuer à plus de confort dans les foyers, l'électricité va permettre de produire plus et plus vite au niveau industriel. On verra une classe de bourgeoisie industrielle s'en mettre toujours un peu plus dans les poches alors que les ouvriers triment. A cette époque, le salaire d'un ouvrier était de 5 francs par jour et plus de la moitié servait à se nourrir.
C'est l'époque où le colonialisme bat son plein. Si vous suivez le blog, vous connaissez mon attachement à l'Asie. Les années 1880 sont le moment où l'actuel Vietnam et le Laos sont placés sous protectorat français. C'est aussi l'origine du style colonial dont je vous parlais le mois passé. Et cela va se ressentir aussi sur la décoration. Je vous en parle brièvement après! En attendant, passons à plusieurs symboles qui représentent la Belle Époque pour nous faire une meilleure idée du style décoratif du moment.
02 • Les cabarets - atmosphère de plaisirs et d'insouciance qu'il peut être bon de retrouver chez soi
Quand j'ai commencé mes recherches, je ne savais pas trop où je mettais les pieds. J'ai une connaissance littéraire de cette époque essentiellement grâce à ma formation universitaire. Et un peu comme tout le monde, j'ai une culture générale assez vague de l'époque. J'ai décidé de m'arrêter sur 3 topics qui à mes yeux représentent bien l'atmosphère de la Belle Époque. Et qui nous donnent des indications quant au(x) style(s) décoratif(s) présent(s). Le premier topic c'est le cabaret. Certains existent encore de nos jours et ont évolué, d'autres ont disparus. Le cabaret est synonyme de légèreté et d'insouciance.
Le Moulin Rouge - Commençons avec une enseigne qui brille encore à Paris et qui représente encore cette ambiance de plaisirs et de légèreté aux yeux des touristes: le Moulin Rouge. Je ne ferai pas de références au film éponyme, je ne l'ai pas vu (comme d'ailleurs, je n'ai pas vu Titanic...) ce cabaret est connu essentiellement pour le Cancan (appelé aussi French Cancan) danse qui défie la bienséance en montrant ce qui ne devrait pas être vu. La danseuse de Cancan la plus connue est La Goulue (Louise Weber) qui a été peinte par Toulouse-Lautrec. Les peintres contemporains de cette époque sont précieux pour nous aider à mieux comprendre l'ambiance Belle Époque. Ce cabaret est composé d'une gigantesque piste de danse mais surtout de miroirs partout. C'est un élément que l'on retrouvera plus bas dans cet article. Je n'ai pas trouvé tant d'infos sur le Moulin Rouge des débuts qui est éclipsé par le fait que ce cabaret soit encore en activité. Néanmoins, j'ai noté un point intéressant. Dans les jardins du Moulin Rouge, les dames pouvaient faire des promenades à dos d'ânes mais ce n'est pas le plus remarquable. Il y avait un éléphant gigantesque qui avait été récupéré lors de l'exposition universelle de 1889. Et il était même possible d'entrer dans cet éléphant. La récupération des éléments d'expos universelles est aussi récurent ici. Et l'éléphant contribue à l'intérêt omniprésent de découvrir et voyager sans partir dans des contrées lointaines.
Les Folies Bergère - Autre salle de cabaret toujours en activité de nos jours, les Folies Bergère s'écrivent sans la marque du pluriel à Bergère parce que c'est en fait les Folies de la rue Bergère. Le mot "Folies" signifiant maison de plaisance, fêtes nocturnes, concerts et tout l'univers du spectacle léger et frivole. La façade de l'établissement n'est pas Belle Époque mais Art Déco (elle est classée aux monuments historiques). En 1871 est aménagé un grand jardin d'hiver. Cela fait penser au jardin d'acclimatation du Bois de Boulogne qui lui était plus familial.
Le Paradis Latin - J'ai déjà un peu plus de choses à raconter sur le Paradis Latin que sur les enseignes précédente. Avant d'être une salle de cabaret, c'est un théâtre (le théâtre Latin) construit à la demande de Bonaparte en 1802. Il est partiellement détruit lors de la guerre franco-prussienne. Et il a être reconstruit par Gustave Eiffel. Il n'a pas fait que la Tour Eiffel pour l'exposition universelle de 1889. Je vais vous parler de lui aussi un peu plus bas dans cet article. Pour la reconstruction Eiffel utilise une structure métallique qu'il viendra fixer sur les fondations de l'ancien théâtre. Le Paradis Latin est inauguré en 1889. Il se distingue à l'intérieur par une coupole avec un décor qui invite à la distinction. La salle de cabaret connait un déclin progressif au début du XIXème siècle jusqu'à son abandon total dans les années 30. Les lieux seront rachetés en 1973 et pendant les travaux, on découvrira certains vestiges du cabaret notamment d'anciennes affiches et la fameuse coupole. Les mosaïques seront restaurées. (Pareil, je vais vous reparler de mosaïques après!)
Le Chat Noir - Je termine ce petit tour des cabarets de la Belle Époque avec mon cabaret préféré: Le Chat Noir. Ce n'est pas mon préféré juste parce que le Carnaval de Dunkerque y fait référence. C'est aussi tout un univers bien distinct des autres qui permet de mieux comprendre l'atmosphère de l'époque mais aussi une certaine forme d'esthétisme. Il y a eu 3 adresses pour le Chat Noir. D'abord ce fut un petit établissement appelé "caveau". A ce moment, la décoration n'a rien de phénoménale. C'est au premier déménagement que l'histoire devient intéressante. Le Chat Noir s'installe dans un immeuble de 3 étages qui est essentiellement décorer par Adolphe Willette. C'est un lieu de rencontres pour les personnalités culturelles du moment: Pissaro, Van Gogh, Toulouse-Lautrec (encore), Mallarmé, Maupassant fréquenteront le Chat Noir entre autres. C'est un établissement interdit aux curés et aux militaires et là-bas, il y a une certaine défiance de la bourgeoisie. Rappelons qu'un grand nombre de cabarets est destiné aux petites gens, aux voyous, aux prostituées et aux chômeurs. Pas aux bourgeois. Le Chat Noir se distingue alors par la création d'un théâtre d'ombre, précurseur d'une certaine manière du cinéma (des silhouettes en zinc sont éclairées à l'arrière d'un écran blanc). On a donc des décors pseudo-historiques, de nombreuses illustrations notamment de Henri Rivière et de Caran d'Arche. Et Rodolphe Salis décide d'installer un piano - interdit dans les établissements de débit de boisson. Niveau déco, on trouve tout un tas de choses. C'est un décor qui se veut éclectique avec une imposante cheminée et des colonnes byzantines sur lesquelles se trouvent des chats. Les chats sont partout dans la décoration. On a aussi des lanternes de style néo-médiéval, des dessins d'artistes qui fréquentent les lieux encadrés aux murs. Au rez-de-chaussée dans la grande salle, des vitraux qui représentent l'épisode du veau d'or, symbole d'idolâtrie (que l'on retrouve aussi bien chez les chrétiens, les juifs et les musulmans et dans l'opéra Faust de Gounod (1859), le veau d'or symbolise la cupidité). A la troisième adresse du Cabaret, c'est une ambiance bohème composée de bric-à-brac. Le mauvais goût et juxtaposé aux jolies choses. On a un maximalisme d'objets. On retrouve les vitraux et il y a aussi des bas-reliefs enluminés. Dans l'idée que je me fais des deux derniers établissements de Salis, j'ai l'impression que l'irrévérence est omniprésente et cela doit expliquer pourquoi j'ai tant de sympathie pour le Chat Noir.
Le hall des Folies Bergère dans les années 1900 - 1910
Le Moulin Rouge et son éléphant récupéré lors de l'exposition universelle de 1889
Intérieur d'une taverne à Montmartre
03 • Ateliers d'artistes - un phénomène de la Belle Époque dont le souvenir subsiste de nos jours
Le deuxième topic que j'ai choisi pour illustrer la Belle Époque c'est quelque chose que l'on connait toutes et tous du moins dans notre imaginaire collectif. Il est question ici des ateliers d'artistes.
Mon premier exemple est le Bateau-Lavoir, une cité d'artistes de Montmartre. Dans le dernier quart du XIXè siècle, Montmartre n'est pas comme nous le connaissons actuellement. C'est un espace en dehors de Paris où les loyers sont bien plus modérés. Ce qui rend l'endroit parfait pour les artistes sans le sous. En 1892, le premier peintre à s'installer dans cette cité est Maxime Maufra. Le Bateau-Lavoir accueillera Gauguin, Picasso, Douanier-Rousseau, Modigliani, Matisse, Braque, Apollinaire, Cocteau. Picasso s'y installera de 1904 à 1909. Il y peint notamment Les Demoiselles d'Avignon. Le Bateau-Lavoir est composé d'une vingtaine de petits ateliers exigus le long d'un long corridor. Il n'y a pas de chauffage et il n'y a qu'un seul point d'eau. L'isolation est inexistante. Il fait très froid l'hiver, trop chaud l'été. Il y règne une odeur de moisi et de térébenthine. Le confort est aux abonnés absents. Comme "meubles" au sein des ateliers, c'est sommaire: des malles, un matelas ou une paillasse. Dans les années 70, un incendie détruit le Bateau-Lavoir. Il est reconstruit à l'identique et en béton en 1978. On peut y voir un petit bar avec un comptoir en zinc mais aussi de grandes verrières - probablement l'un des symboles les plus représentatifs de l'atelier d'artiste. L'extrême précarité de certains artistes en résidence les pousse à utiliser des objets du quotidien dans leurs oeuvres. Chez Max Jacob, on retrouve de la fumée de la lampe à pétrole ou encore du marc de café et de la poussière. Picasso quant à lui utilise de la toile cirée pour faire un collage sur l'une de ses peintures.
Autre lieu pour vous présenter l'ambiance des ateliers d'artistes de la Belle Époque: La Ruche, 5000m2 acquis par le sculpteur Alfred Boucher où il crée de nombreux ateliers d'une trentaine de mètres carrés. On y croisera Modigliani, Léger, Ossip Zadkine, Matisse, Douanier-Rousseau. Pour créer les bâtiments de nombreux éléments de l'exposition universelle de 1900 sont récupérés: le pavillon des vins de Bordeaux dont la structure métallique est conçue par Gustave Eiffel (encore lui), la grille d'entrée du pavillon des femmes, les caryatides (des colonnes aux formes de femmes) du pavillon d'Indonésie. En 1905, on compte, une salle de théâtre de 300 places, une salle d'exposition, 110 ateliers (pour 90 artistes). Tout est fabriqué de bric et de broc ce qui ne dure pas dans le temps. Les héritiers de Boucher vendent faute de pouvoir entretenir les lieux. En 1972, la façade, les toitures et la rotonde sont classées et sauve le lieu des promoteurs qui veulent tout détruire. Depuis, les lieux sont entretenus par une fondation. Là aussi la façade se caractérise par de grandes fenêtres donnant sur le jardin.
Les ateliers d'artistes ne sont pas uniquement des communauté de marginaux à Montmartre. Ce qui a contribué au fait qu'on se souvienne de ce qu'est un atelier d'artiste même de nos jours, c'est que la bourgeoisie a investi ce concept d'une part. Certains artistes ouvrent leur atelier pour y faire de la vente. Et qui de mieux que les bourgeois pour payer? Lors de la Belle Époque, être artiste c'est souvent une part d'amateurisme. Les plus aisés peuvent eux-aussi être artistes. Il y a comme une appropriation de l'espace de création par la bourgeoisie. Les artistes les plus aisés n'hésitent pas à faire des modifications de leur atelier afin de recevoir des clients. Ils vont agrandir, acheter un deuxième espace pour pouvoir accueillir les visiteurs / bourgeois / clients. Certains sur-élèvent leur habitation, c'est à dire qu'ils créent un nouvel étage pour créer un atelier qui fera aussi office de salon et de galerie. On trouve aussi des ateliers séparés en deux avec une mezzanine pour séparer l'espace où l'on reçoit et ceux où l'on vit. C'est à ce moment que la verrière devient un modèle d'aménagement. En s'ouvrant au public, l'atelier d'artiste devient un lieu de collection où l'on trouve des objets de provenance éclectique. Encore une fois, on retrouve l'idée de maximalisme où se côtoient bibelots, oeuvres d'art de l'artiste et meubles de diverses époques. Les peintres deviennent pour certains marchands de curiosités: tableaux anciens, antiquités, curiosités venues de contrées lointaines. (Dans mon article sur la déco coloniale je vous parlais des collections individuelles et privées qui ont précédé les expositions coloniales publiques et où l'objet venu d'ailleurs devient objet de collection, objet marchand et perd sa valeur initiale). A la fin du XIXème siècle, l'atelier d'artiste est aussi un lieu de fantasme. Un espace où l'homme domine, sans femme ni enfant. Un espace sexué. Les modèles féminins nus contribuent à l'idée de fantasme. On y voit aussi l'idée de garçonnière ou encore l'atelier d'artiste devient un lieu de relations clandestines.
Atelier de Maurice Utrillo à Barbès
Atelier appartement de Suzanne Valadon, je vous conseille de lire cet article pour visiter l'intégralité de l'atelier devenu musée
La Ruche
Blaise Cendrars, Dix-neuf poèmes élastiques, II. Ateliers (1912-1914)
Escaliers, portes, escaliers
Et sa porte s'ouvre comme un journal
Couverte de cartes de visite
Puis elle se ferme.Désordre, on est en plein désordre
Des photographies de Léger, des photographies de Tobeen, qu'on ne voit pas
Et au dos
Au dos
Des œuvres frénétiques
Esquisses, dessins, des oeuvres frénétiques
Et des tableaux...
Bouteilles vides
"Nous garantissons la pureté absolue de notre sauce Tomate"
Dit une étiquette
La fenêtre est un almanach
Quand les grues gigantesques des éclairs vident les péniches du ciel à grand fracas et déversent des bannes de tonnerre
Il en tombe
Pêle-mêle
04 • S'inspirer partiellement de l'esthétique des maisons closes
Passons maintenant à ce qui me semble l'un des points essentiels de la Belle Époque: les maisons de Tolérance ou communément appelées les maisons closes. Parce que je sais que certaines personnes qui me lisent ce font défenseurs des bonnes moeurs (tssss), je tiens à préciser qu'en aucune façon je ne fais l'apologie de la prostitution. Et je vais reprendre les mots de Louise Michel: " Est-ce qu'il n'y a pas des marchés où l'on vend, dans la rue, aux étalages des trottoirs, les belles filles du peuple, tandis que les filles des riches sont vendues pour leur dot ? L'une, la prend qui veut ; l'autre, on la donne à qui on veut. La prostitution est la même […] Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire."
A la Belle Époque, tout le monde ou presque va aux putes. Ce n'est pas uniquement un truc de bourgeois, d'artistes ou de pauvres. En revanche, il y a des lieux plus ou moins chics. Il y avait même un guide comme le guide Michelin mais pour les maisons closes. C'était le guide rose qui répertorié les lieux à Paris comme en province. Dans la catégorie moins huppée, on pouvait trouver l'établissement Le Moulin Galant fondé en 1871 composé de deux pièces (même pas des chambres) qui s'appelaient "le Sénat" et "la Chambre des députés". Il y a peu de traces des bordels bas de gamme et je ne suis pas sûre que leurs décors vous aident vraiment à créer un univers Belle Époque chez vous. Il y avait quelque chose d'assez glauque et sordide dans ces lupanars à pas cher. En revanche, il y a d'autres établissements bien plus connus et fréquentés par des personnalités plus connues. Dans tous les cas, les maisons de tolérance tenaient leur nom parce qu'elles étaient tolérées par les administrations (elles répondaient à un besoin des hommes). Elles étaient encadrées. Les filles par exemple devaient passer une visite médicale chaque mois (pour éviter que le syphilis se propage plus), elles devaient s'inscrire sur des registres de bonnes moeurs. Il y a une autre règle qui donne tout son sens au nom de maison close: les établissements devaient impérativement avoir fenêtres et volets fermés pour que personne ne puisse voir ni entendre ce qui se passait à l'intérieur. Autre symbole extérieur: la lanterne rouge qui a vu le jour aux Etats-Unis en 1890 pour marquer les quartiers et lieux chauds et qu'on connait encore aujourd'hui notamment avec la chanson Roxanne de The Police (sortie en 1978) ou le Redlight District d'Amsterdam. Pour l'intérieur, c'est un poil plus compliqué. La plupart des maisons de tolérance ont vu leur mobilier vendu aux enchères après 1946 quand la loi Marthe Richard a été voté et a fermé tous les lupanars de France. Pour se faire une idée de ce à quoi ressemblaient les établissements, il faudrait pouvoir les visiter mais c'est assez difficile. Certains ont été transformés en habitation. On peut éventuellement voir les escaliers et portes qui menaient aux chambres dans ces hôtels particuliers. Mais alors pourquoi je vous parle des maisons closes? Parce qu'il reste tout de même des choses à voir qui peuvent nous inspirer!
Il subsiste quelques détails dans ces lieux. Chez Alys par exemple, il y a encore le sol en mosaïque avec l'inscription de la maison. A La Fleur Blanche, on peut encore y voir les escaliers ou encore les boiseries très féminines avec des médaillons et dorures au dessus des portes. Pour cet établissement, il y a de nombreux témoignages réalisés par Toulouse-Lautrec (encore lui) qui était un habitué et qui aurait vécu dans cette maison de tolérance. Il a peint plusieurs tableaux du quotidien dans la maison close: Salon de la rue des Moulins (1894), Le Sofa (1894), Monsieur, Madame et le chien, couple de tenanciers de maison close (1893). D'ailleurs, Toulouse-Lautrec est mort à 37 ans de la syphilis. Ces tableaux mettent en mouvement les prostituées mais pas uniquement. On peut voir certains éléments du décor quotidien duquel les filles de joie n'avaient pas le droit de sortir seule. On voit un sofa rouge, des colonnades aux murs, de nombreux détails qui sont apparentés au lit où les filles dormaient: des draps blancs, des oreillers et un traversin, un couvre-lit coloré peut-être en patchwork, un lit en métal simple. La coiffeuse aussi faisait partie du décor des riches chambres de passes. Ce qui est intéressant aussi dans le travail de Toulouse-Lautrec c'est la couleur. Même s'il existe quelques rares photos des maisons closes, elles sont en noir et blanc. Le peintre met en couleur cette facette de la Belle Époque. Du rouge, de l'oranger, des couleurs chaudes qui créent un sentiment où l'on se sent bienvenue. Rien de glauque. Il y a aussi des couleurs pastel qui offrent beaucoup de douceur aux scènes peintes.
L'un des bordels de la Belle Époque les plus connus c'est le Chabanais qui avait pour surnom "the house of all nations". Il a ouvert ses portes en 1878 et on pouvait y croiser du "beau" monde comme le Prince de Galles Edouard VII, fils de la reine Victoria et futur roi d'Angleterre. Celui-ci laissa deux "meubles" tout à fait singulier: Une baignoire de cuivre avec à l'avant une poitrine de sirène (visiblement vendue par la suite à Salvator Dali) et un fauteuil à 3 places (je ne vous fais pas de dessins sur l'utilisation d'un tel fauteuil...) Chaque chambre avait un thème et donc un décor particulier. L'exotisme était de mise. Une chambre russe, une autre hindoue, une troisième mauresque... La chambre japonaise a été récompensée pour son décor lors de l'exposition universelle de 1900. Ce voyage à travers la décoration reprend l'attrait pour le colonialisme et le style orientaliste. Au Chabanais, il y avait la salle Pompéi avec d'immenses miroirs (on en a déjà parlé pour les cabarets), des sofas romains, des escaliers en marbres et une porte en fer forgé.
Comme je donne de ma personne pour préparer mes articles, hier soir, j'ai regardé le film de 2011: L'Apollonide - souvenirs d'une maison close de Bertrand Bonello. La quasi-intégralité du film se passe en intérieur (l'une des deux seules scènes extérieures reste en huis-clos, entre filles). On y voit le quotidien des filles et de leur mère maquerelle, les habitués avec leurs habitudes assez singulières pour certains. On y voit de la violence, de la lassitude, la drogue. Le décor est intime rien que par l'absence de lumière liée au fait qu'une maison close est close justement. On y voit du velours, un certain confort et du luxe dans les pièces "à vivre" avec les clients, des salons avant de monter aux chambres. On y voit par un détail que tenir une maison de tolérance coûte cher puisque les verres en cristal sont remplacés par des verres plus simples. Il y a le décor des chambres avec pour certaine une baignoire. Et on voit qu'il y a des ambiances différentes comme d'ailleurs dans le travail de Toulouse-Lautrec. D'une part, le commerce très faste et d'autre part les pièces destinées à la vie quotidienne des filles: les chambres simples dont elles partagent les lits, des espaces où se laver puisque l'hygiène est un thème important à cette époque. Dans ces salles de bains, pas de baignoire mais des lavabos blancs en faïence, des miroirs plus fonctionnels que décoratifs et quelques étagères pour déposer crèmes et parfums. Même dans les plus chics des maisons de tolérance, le chic est pour les clients non pas pour les filles qui y travaillent. Le seul glissement entre ces deux mondes au sein d'une même maison c'est la salle à manger ou encore le bureau de la tenancière. Des espaces plus chics qui servent aussi bien pour recevoir les clients que pour la vie de tous les jours.
Même si vous ne désirez pas créer un décor de maison close chez vous, il y a des éléments qui peuvent vous servir pour vous aider à créer un décor Belle Époque.
Trois images de l'intérieur du fameux Chabanais
05 • Architecture et décoration au XIXème et à la Belle Époque
05 • 1 • Le style Beaux-Arts ou le style Napoléon III et le style éclectique
Comme vous l'avez probablement remarqué, jusqu'à présent il n'a pas été question de style à proprement parlé et encore moins du style Art Nouveau. Je vais vous décevoir, il ne va pas être question d'Art Nouveau dans cet article. Pourquoi? Il y a trois raisons à cela. La première c'est que l'Art Nouveau n'apparait que pendant la dernière partie de la Belle Époque. Même en 1900, l'Art Nouveau commence à prendre place dans l'espace public parisien mais n'est pas si répandu. Deuxième raison, l'Art Nouveau mérite un article à part et c'est prévu dans les mois à venir. Troisième raison, ça m'a saouler de voir à tout bout de champs Belle Époque = Art Nouveau même sur des sites très officiels de musées. C'est un raccourci qui efface une partie de la richesse de cette époque. Donc l'Art Nouveau, c'est clairement pas pour cet article.
Cette fois, on va parler du style Beaux-Arts aussi appelé le style Napoléon III. On le retrouve dans la première partie de la Belle Époque (au minimum) puisqu'à ce moment là, on ne changeait pas de décoration régulièrement. Le style Beaux-Arts est essentiellement un courant architectural qui se caractérise par son éclectisme. Un mélange de styles, notamment le néo-classique, le néo-renaissance, le néo-baroque, voire le néo-roman et le néo-byzantin. Les architectes du style Napoléon III vont chercher un équilibre mais aussi des références passées:
- des solutions architecturales, de constructions et d'ornement venues de l'Antiquité;
- des solutions de constructions et d'esthétisme gréco-romaines;
- un goût du détails typique: balustrades, statues, colonnes, guirlandes, pilastres entre portes et fenêtres, grands escaliers ou emmarchements, larges arches
- des constructions spectaculaires pour les bâtiments privés ou publics
Tout ceci se retrouve aussi dans les constructions Haussmaniennes et l'habitat bourgeois de l'époque. On peut mettre en opposition ce type d'architecture avec celle du Montmartre de l'époque où il y avait ce qui était appelé un "maquis", des maisonnettes plus proches du bidonville que de l'habitat bourgeois. On peut encore d'ailleurs voir dans Paris les jolies maisons bourgeoises alors que ce maquis a totalement disparu. Il y a une idée d'ordre et de lissage de l'esthétisme dans le style Napoléon III puis celui d'Haussmann qu'on ne retrouvait pas dans les habitations des couches plus pauvres de la sociétés. En plus de vouloir assainir la ville sous le Second Empire, il y a une recherche d'équilibre architectural, d'homogénéité.
Le style éclectique (toujours en architecture) quant à lui est délimité entre 1860 et la fin des années 1920. On mélange les styles historiques. Les inspirations sont plurielles. Par exemple, on peut parler de l'Opéra Garnier inauguré en 1875.
05 • 2 • Arts décoratifs au XIXème: entre faste et début de l'industrialisation
Pour l'intérieur et la décoration, cette tendance au mélange semble être de mise aussi. Les meubles de style Napoléon III ou Second Empire sont riches et chargés. Le luxe est omniprésent. Formes, motifs, naturalismes, dorures... Tout est riche et mélange d'inspirations (notamment des styles des siècles précédents). On va trouver de la marqueterie, des sculptures sur les meubles, des cheminées, des miroirs et des candellabres. Quand je pense à ce style, je pense automatique au roman À Rebours de Huysmans (1884). Roman pas bien passionnant quand vous aimez l'action (et quand vous l'étudiez à 20 ans et quelques...). Il ne s'y passe rien mais cela vous donne une très bonne image de l'ultra-faste décadent à la fin du XIXème siècle. Un refus de la modernité au profit de collection de livres, d'objets dorés et pierres précieuses, de meubles luxueux qui ne sont plus de son temps.
Au début de cet article, j'ai évoqué l'industrialisation de la Belle Epoque et cela se ressent aussi dans la décoration. Le capitonnage a été inventé en 1838, la création de meubles en fonte va être facilité avec la production industrielle. On garde de nos jours par exemple la chaise n°14 appelée aussi la chaise Thonet. C'est le début de la décoration à grande échelle, la production de masse dans laquelle nous continuons de vivre actuellement.
06 • Quelques inspirations pour un intérieur inspiré de la Belle Époque
Pour creuser le sujet si le coeur vous en dit
Moulin Rouge - L'histoire du Moulin Rouge: les grandes périodes
Paris1900 - l'Art Nouveau - Le jardin d'acclimatation au bois de Boulogne dans les années 1900
Le Figaro - Les Folies-Bergère: «La plus belle salle de ce genre à Paris» selon Le Figaro de 1869
Paris Musées - "L'Épopée", scène du théâtre d'ombres du "Chat noir" (Caran d'Arche)
Montmartre Addict - Les cabarets de Montmartre en danger
Toute la catégorie Histoire du site Montmartre Addict
Allo Ciné - L'Apollonide - souvenirs de la maison close
RFI - Lieux oubliés: le 12rue Chabernais, la maison close de l'Élite
Penser le travail autrement - Toulouse-Lautrec et les maisons closes
Le Point - Journées du patrimoine - Les Fantômes de Paris (1) : Toulouse-Lautrec
Paris-bise-art - La Fleur Blanche
Paris zigzag - La petite histoire des maisons closes parisiennes
Lise Antunes Simoes - Jeter un oeil à l'intérieur d'une maison close (cet article, je vous le conseille vivement!)
Vanity Fair - Récit : La folle histoire du Chabanais, la maison close la plus prisée des grands de ce monde
Cité du Design - Révolution industrielle
Marc Maison - Style Napoléon III
Arte sur Youtube - Paris, flâner à travers la Belle Époque (cartes postales d'époque qui retrace un Paris populaire et de petite bourgeoisie)
Laissez-vous Guider sur Youtube - La Belle Époque (Stéphane Bernet Lorant Deutsch vous montrent le Paris de la Belle Époque à travers des monuments et lieux encore existants ainsi que des reconstitutions)
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