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Qui est Eileen Gray? Et pourquoi vous devriez la connaître?

Je poursuis ma série de portraits de designers qu'il me semble bon de connaître. Jusqu'à présent, j'ai eu l'occasion de vous parler de Charlotte Perriand et de Jean Prouvé. On reste plus ou moins sur la même époque cependant, aujourd'hui, ce n'est pas une actrice française du design qui nous intéresse. Je vous propose de découvrir Eileen Gray.

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Brève biographie d'Eileen Gray

Eileen Gray, née Kathleen Eileen Moray Smith est une designer et architecte irlandaise. Elle est née en 1878 (en Irlande) et morte en 1976 (à Paris). Sa famille prend le nom de Gray en 1893 quand sa mère hérite d'un titre de noblesse écossais.

Peinture et Paris - le début de la carrière d'Eileen Gray

Formation entre Londres et Paris

En 1901, elle prend des cours de peinture à la Slade School of Fine Art à Londres. Elle part l'année suivante à Paris avec deux amies pour suivre des cours à l'Académie Colarossi et à l'Académie Julian. Ce sont des écoles plus progressistes que l'académie des Beaux-Arts de Paris. En 1904, elle retourne à Londres (toujours à la Slade School of Fine Art) pour perfectionner sa technique de la laque.

En 1907, Eileen Gray s'installe à Paris. Elle étudie le laquage avec l'artisan laqueur Seizo Sugawara. Leur collaboration durera une vingtaine d'années. Ils ouvriront ensemble plusieurs galeries et ateliers à Londres et à Paris. 1910, elle ouvre un atelier dédié au laquage et un autre dédié au tissage de tapis. En effet, en 1908-1909, elle a appris à teindre et tisser des tapis lors d'un voyage.

En 1913, elle présente ses premiers panneaux décoratifs au Salon des artistes décorateurs. Son travail séduit le collectionneur d'art et bijoutier Jacques Doucet qui lui passera plusieurs commandes notamment le paravent « le Destin ». Elle retourne à Londres pendant la Première Guerre Mondiale.

Premier projet de décoration encensé par la critique

Entre 1919 et 1924, Eileen Gray est en charge d'un projet particulier. Elle doit décorer l'appartement de Madame Mathieu Lévy, une figure de la mode internationale de l'époque. Cet appartement reste un exemple du style des années 20. Elle va y mélanger des influences africaines (chaise longue en bois laqué qu'elle appellera Pirogue) et des influences japonaises (le Canapé Lota).

Les différentes collaborations d'Eileen Gray

  • Seizo Sugawara (artisan laqueur japonais)
  • Kichizo Inagaki (ébéniste japonais)
  • Jean Badovici (architecte et critique roumain) avec qui elle entretien une relation professionnelle et intime. Il l'aidera à ouvrir une galerie en 1922.
  • Evelyn Wyld (tisseuse)
  • Pierre Chareau et Jean Prouvé pour la décoration de la villa Noailles construite par Robert Mallet-Stevens

Renoncement à l'art déco, influence du Bauhaus et de De Stijl

La laque, les inspirations venues d'ailleurs (Japon, Afrique) font partie des débuts de Gray mais sont surtout symboles du mouvement Art Déco. Cependant en 1923 - 1925, elle rencontre plusieurs acteurs du mouvement De Stijl et découvre le travail de Gerrit Rietveld qu'elle admire. En 1924, elle crée la Table De Stijl qui rend hommage à l'architecte. Elle renonce à l'Art Déco pour embrasser les principes plus minimalistes des mouvements modernistes de l'époque.

Gray va aussi trouver de l'inspiration du côté du Bauhaus et plus particulièrement dans le travail de Marcel Breuer qui travaille sur la fonctionnalité de l'objet. Elle commence à utiliser le tube en métal comme structure de meuble comme avec la Table Ajustable. Ce tube va d'abord être laqué puis en 1927, il sera chromé. Elle fait partie des précurseurs du mobilier en acier avec Charlotte Perriand, Marcel Breuer, Gerrit Rietveld ou encore René Herbst. Dans les années 30, elle crée le fauteuil rond Bibendum.

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Passage de la décoration à l'architecture: la villa E-1027

A partir de 1924, elle envisage l'architecture sous les conseils / la demande de Jean Badovici. Elle apprend les bases avec une jeune architecte: Adrienne Gorska. En 1926, elle achète un terrain pour Badovici à Roquebrune dans les Alpes-Maritimes. C'est le début du projet E-1027, une maison au bord de la mer.

Une maison qui synthétise les idées nouvelles de l'époque en matière d'architecture

Voici les principales caractéristiques de ce premier projet architectural:

  • Une maison en L sur 2 niveaux et 120m2
  • Une structure en béton armé et parois de briques creuses
  • Un toit plat
  • Des baies vitrées en longueur
  • Des pilotis pour le rez-de-chaussée
  • Un escalier hélicoïdal (en colimaçon) qui mène vers la chambre d'amis
  • Des fenêtres coulissantes
  • Des stores en toile de bâche

Un extérieur moderniste, un intérieur intime et confortable

L'extérieur de la maison répond aux principes des "5 points de l'Architecture Modernes" énoncés par Le Corbusier et Jeanneret. Cependant l'intérieur tend à créer un univers plus confortable et intime. Pour cette maison, Gray crée des meubles fixes et mobiles comme la Table Ajustable, les fauteuils Transat et Non Conformiste. Dans la chambre par exemple, elle crée une table de chevet chromée ajustable (baptisée Table E-1027).

Il y a un point que j'affectionne particulièrement dans la démarche de Gray et cette maison: elle y donne une place pour chaque chose. Cela parle beaucoup à la maniaque bordélique qui sommeille en moi! Gray étiquette les rangements en inscrivant à la peinture ce qui doit être rangé dans les espaces de rangement.

Différend entre Gray et Le Corbusier à propos des fresques peintes par ce dernier

Si vous suivez le blog et que vous lisez régulièrement mes articles Histoire et Design, vous savez que je ne porte pas spécialement dans mon coeur le personnage de Le Corbusier. Je sais apprécier dans une certaine mesure son travail. J'aime beaucoup moins le bonhomme.

Gray, Badovici et Le Corbusier sont amis. A partir de 1937, Le Corbusier séjourne quelques jours dans la villa E-1027 et durant les étés 38 et 39, il peint des fresques dans certaines pièces de la villa. Depuis 1932, Gray ne réside plus dans la villa mais elle y est régulièrement invitée. Gray n'aime pas les fresques de Le Corbusier.

La designer estime que ces fresques dénaturent sa démarche architecturale et qu'elles sont un acte de vandalisme. Elle demande à Badovici d'en parler à l'architecte suisse qui balaye du revers de la main la plainte de Gray. Il y a des nus et ces fresques feraient référence à la la bisexualité de Gray. Ces fresques colorées jurent aussi avec la palette épurée de la maison.

Au final, Badovici et Le Corbusier se brouillent. Le Corbusier expliquera aussi que les fresques à ses yeux n'ont pas le but de servir l'espace et de le mettre en valeur. Sa démarche (mesquine à souhait) avec la fresque intérieure est de salir le mur et donc le travail de Gray au coeur de la villa E-1027.

Pour en savoir plus, sur ce différend entre Gray et Le Corbusier, je vous invite à lire l'article: "Une mai­son mal­fa­mée : E.1027 - Une histoire d'obsessions" sur le site Espazium. Vous en apprendrez plus sur la démarche de l'architecte suisse mais aussi sur ses obsessions, son tempérament et sa manière de faire. Cet article universitaire me conforte dans l'idée que Le Corbusier est un fumier.

Autres projets architecturaux d'Eileen Gray

1931 / 1934 - La villa Tempe a païa de Menton

Un projet architectural plus personnel qu'elle porte seule. Elle reprend les 5 principes de Le Corbusier. La différence avec la villa E-1027 réside dans la volonté de créer un lieu qui invite au repos et à la solitude. Elle achète différents terrains aux alentours pour que la vue ne soit pas gâchée. Sur le terrain où est construite la maison, il y a plusieurs citernes d'eau. Ces citernes vont lui servir à élever la maison. Certaines citernes vont être transformées. Un réservoir devient un garage, un autre devient un cellier.

Pendant la guerre, les allemands pillent la villa. En 1950, elle tente de la restaurer mais le manque de fournitures rend le projet complexe. Elle ajoute certains éléments au projet comme une terrasse, de nouveaux volets et une porte de garage. Les travaux se terminent en 53 mais elle n'a plus envie d'y vivre. Elle vend la maison.

Les projets d'architecture sociale

Dans les années 30, l'architecte irlandaise s'intéresse à la dimension sociale. Elle est de gauche et la montée du chômage comme l'arrivée des premiers congés payés sont une source de réflexion. Elle crée en 1930, la Tente de camping. La Maison Minimum est un concept de logement créé la même année. C'est une maison individuelle pensée pour s'adaptée parfaitement à la typographie du lieu où elle sera montée. C'est aussi une maison totalement démontable.

En 1936, elle crée la Maison Ellipse, une maison préfabriquée. 1936 - 37, elle imagine un centre de vacances et de loisirs. Il ne s'agit plus exclusivement de logements mais d'un ensemble complet avec parking, bureaux administratifs et habitations. En 37, ce projet est présenté à l'Exposition internationale « Arts et Techniques dans la Vie moderne ».

Projets d'après-guerre et reconnaissance tardive

Entre 46 et 47, elle travaille sur un projet de centre social et culturel. En 54, débute son nouveau projet de maison: Lou Pérou près de Saint Tropez. Un corps de ferme réhabilité dans une dynamique de refuge. C'est une période d'oubli pour Gray. Elle n'est plus sur le devant de la scène architecturale même si quelques publications mettent en avant son travail jusqu'en 1959.

En 68, un article dans le magazine Domus flatte le savoir-faire de Gray. C'est l'occasion de relancer la production de certains meubles comme le fauteuil Bibendum et la table E-1027. A partir du début des années 70, en France, des galeristes (Robert et Cheska Vallois) proposent des meubles de Gray. En 72, une vente aux enchères du mobilier de Jacques Doucet est organisée et remet sur le devant de la scène les meubles créés par la designer. Cet ensemble d'évènements font qu'Eileen Gray connait le succès à peine quelques années avant sa mort.

Deux dernières choses pour comprendre l'univers de Eileen Gray

Les paravents d'Eileen Gray, témoins d'une évolution

Considérée comme l'une des pionnières du modernisme, il me semble qu'il est intéressant de revenir sur ces premières créations pour évoquer le parcours réalisé par la designer. Elle s'intéresse aux paravents et panneaux parce que ce sont des éléments utiles.

Ses premiers paravents sont confectionnés avec Seizo Sugawara. Elle mélange la laque rouge Negoro (un style minimaliste du XIIème siècle) avec la technique le maki-e (une technique pour créer du motif). Au départ, il y a des personnages figuratifs puis les paravents et panneaux évoluent. Il y a un côté plus minimal et épuré que l'on doit à l'inspiration De Stijl. L'artisanat traditionnel japonais et la géométrie De Stijl sont unis. On retrouve aussi à travers le travail de Gray une réflexion entre la forme et la matière.

Le fauteuil Transatlantique, une version noble du confort

On connait tous le fauteuil transat actuel qui sert essentiellement de nos jours à meubler l'extérieur. L'origine de ce fauteuil remonte aux croisières transatlantiques. Ces fauteuils étaient sur le pont et étaient destinés au confort des voyageurs. Eileen Gray s'inspirera de ces chaises longues de paquebot pour créer son fauteuil Transatlantique à l'époque de la villa E-1027.

On retrouve la légèreté des transats avec un panneau en tissu couvert de cuir suspendu. La toile du transat devient plus confortable et luxueuse. La structure est quant à elle en bois de sycomore. Plus tard, cette chaise longue sera déclinée en différents matériaux.

Gray n'est pas la seule à revisiter cette assise significative. Josef Hoffmann, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Marcel Breuer et Mies van der Rohe se prêteront aussi à l'exercice à différents moments de leur carrière.

Pour aller plus loin et en savoir plus sur l'oeuvre d'Eileen Gray

eileengray.co.uk
Cap Moderne - Villa E-1027
Cap Moderne Monuments Nationaux - Histoire de Cap moderne, Eileen Gray et Le Corbusier au Cap Martin
Domus - The violated legacy of Eileen Gray (en anglais)
AD Magazine - L’iconique villa E-1027 d’Eileen Gray rouvre ses portes
Du Grand Art - Fauteuil Bibendum
Aram - Eileen Gray
Royal Academy - Eileen Gray: an architect and designer you should know
V & A - Deckchair design: from ocean liner to Modernist villa
The Shelfist - Eileen Gray: 11 Iconic Pieces of Furniture Designed


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2 commentaires

  1. Merci pour ce super article, j’ai appris plein de choses.


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