Cette question, je me la suis souvent posée depuis que nous sommes en Asie. Et il y a quelques jours, une lectrice a su bon me rappeler que le voyage "est censé apporter une ouverture d’esprit et de tolérance". Avant de partir en Asie, je tenais les mêmes propos à 200%. Et pourtant, maintenant, plutôt que de l’affirmer, je préfère me demander si vraiment le voyage doit apporter de la tolérance ou si on doit tout tolérer sous prétexte qu’on voyage.
« Le voyage apprend la tolérance », origines de la citation
Je me suis demandée dans un premier temps, avant de commencé l’article de qui venait cette citation. Evene est mon ami: « Le voyage apprend la tolérance » vient de Benjamin Disraeli. Je ne le connaissais pas, donc j’ai cliqué sur sa bio. Pour le coup Evene est vraiment bien foutu et là j’ai appris que cet homme n’est pas un contemporain, mais il a vécu au XIXème siècle. C’est un écrivain et un homme d’état anglais sous le règne de la Reine Victoria - pas la plus sympathique des reines malgré la géniale série britannique qui lui est consacrée. Passons, Benjamin Disraeli a joué un rôle important dans la création du parti conservateur anglais, c’était donc un mec de droite.
Par ailleurs, j’ai appris que Disraeli était un défenseur du colonialisme et qu’il avait peu voyager dans l’ensemble. Je pense qu’on peut s’accorder que les idées relatives au colonialisme du XIXè sont obsolètes de nos jours et on peut se demander pourquoi au final il a pondu la citation: « le voyage apprend la tolérance » s’il n’a que peu voyager. Comme toutes les citations, elles sont sorties de leur contexte. On peut leur faire dire ce que l’on veut: Est-ce que ses voyages lui ont appris la tolérance, parce qu’il a du faire face à des cultures / peuples qu’il considérait comme inférieurs? Est-ce que durant ses voyages il a réellement appris la tolérance par le biais de la méditation? Je n’ai pas la réponse, juste que la citation sans contexte ne sert pas à grand chose.
Doit-on tout tolérer? admettre? avoir conscience?
Comme je le dis en intro, je me suis posée plusieurs fois la question de la tolérance. En Inde on a eu les castes, les mendiants, les intouchables. Au Népal, il y a aussi cette sphère mais moins visible. On a eu à faire à des relations plus commerciales, voire intéressées. On a eu la Malaisie, radicalement différente de ce que nous avions vu jusque là. On a appris deux ou trois faits qui nous ont laissés perplexes. La Thaïlande qu’on affectionne beaucoup a aussi quelques travers. On n’est probablement pas les seuls à s’en rendre compte vu les putschs sont réguliers (du moins sous le règne de l’ancien roi, décédé il y a un peu plus d’un an). Et puis, il y a eu le Laos. C’est le seul pays que nous avons traversé et dans lequel on s’est le moins retrouvé pour de très nombreuses raisons. Et durant ce mois et demi, je me suis très fréquemment posé la question.
Si je prends la définition du Larousse, je vois que la tolérance c’est admettre que les autres ont une manière différente de vivre et / ou de penser. Ca peut-être aussi faire preuve d’indulgence. C’est aussi une aptitude à supporter des effets souvent agressifs ou nuisibles. Rapidement dans la définition, j’ai fait un Ctrl+F et j’ai pu remarqué qu’il n’y avait pas d’occurence du verbe « accepter ». J’ai poussé le vice plus loin, je suis allée chercher les synonymes de tolérance et là, on trouve « acceptation », « accréditement » et « acquiescement ». Je peux bien accepter que la culture d’un pays asiatique soit différente de la mienne. J’ai envie de dire heureusement qu’elle est différente! En revanche, dois-je accepter le fait que les personnes soient considérées comme de la merde? Dois-je accepter qu’un gouvernement ne tire pas son peuple vers le haut et le bâillonne? Dois-je fermer les yeux quand je vois une jeune fille de même pas 14 ans être offerte à un groupe d’hommes bien plus âgés contre de l'argent? On a vécu ces 3 cas de figures. Ca ne me laisse pas indifférente. Je ne peux pas rester indifférente quand les gouvernements et les humains traitent leurs congénères de manière dégueulasse. Mais moi, Julie, du haut de mon 1m65 je n’allais pas descendre pour casser la gueule des 4 pervers qui allaient sauter la gamine. (C’est une version édulcorée, parce que bien souvent les putes elles en voient des vertes et des pas mûres, même si elles sont très jeunes!)
Pour en revenir à l’idée de voyage, le fait d’être nomade en Asie me permet d’avoir conscience des différences entre ma culture française et celle des pays que je traverse. En revanche, je ne peux rester silencieuse et cautionner certains faits.
Dans la plupart des cas, je cherche à comprendre. Ce n’est pas facile tous les jours, je suis humaine hein! Mais j’essaye. Il y a des points que je peux comprendre. Cela me permet d’être plus nuancée que mon estomac qui accepte ou non certains aliments. J’entends bien que l’intouchabilité est une conséquence des Védas, mais faut-il nier le travail de Gandhi et de ses disciples quant à la position des intouchables? Dois-je accepter qu’un politique hindou appelle au meurtre d’une actrice et appelle « la jeune caste guerrière à brûler tous les cinémas du pays » ? Dois-je accepter que les H’Mongs soient persécutés au Viet-Nam et en Thaïlande parce qu’ils ont collaborés avec les américains pendant la guerre du Viet-Nam? N’y a t’il pas un travail de résilience qui doit être fait par ces peuples? Plus connement, dois-je accepter que les jeunes filles soient prostituées sous prétexte qu’on est en Asie du Sud Est? Dois-je accepter que des enfants soient donnés à une pseudo organisation religieuse contre bons soins, alors qu’on suppose fortement un trafic d’organes? Je ne l’invente pas, nous avons eu à faire face à chacune de ce ces situations.
La seule chose que je suis capable de faire c’est d’avoir conscience que ces faits se passent et que seule, je ne peux pas faire grand chose pour les changer. Je peux aussi éventuellement montrer à travers ce blog que les pays que nous traversons sont certes magnifiques à plus d’un titre, mais ont aussi des revers déplaisants voire malsains. On pourrait très bien voyager, prendre ce qu’un pays a à nous offrir et nous barrer. Mais ma culture justement m’a appris à voir plus loin que le bout de mon nez. J’ai par conséquent conscience que le monde n’est pas fait d’amour et de compassion. On n’est clairement pas dans un monde de bisounours, qui est très utopique. Et il y a des choses que je ne peux pas tolérer, même en voyageant. Ca ne me dérange pas de passer pour une « mauvaise » personne aux yeux de certains parce que je ne montre pas que les côtés magiques de ce que l’on voit. Le monde n’est pas qu’amour!
Bien entendu, vous pouvez être en désaccord avec ce que je dis. Bien entendu, mon point de vue peut changer dans les mois / années à venir. Mais pour le moment, en étant face à des situations qui dépassent mes valeurs, je ne suis pas capable de tout tolérer et de tout accepter. Je peux m'indigner, je peux vous en parler parce que ça n'existe pas uniquement dans les médias mais dans la vraie vie parfois, juste à côté de nous...
